L’aviation contribue au réchauffement climatique mondial en étant responsable de 2,5 à 2,6 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) en 2018. Toutefois, le CO2 n’est que partiellement responsable de l’effet climatique de l’aviation. D’autres contributions au changement climatique induit par l’aviation proviennent des sous-produits de la combustion des combustibles fossiles tels que les oxydes d’azote (NOx) ou le dioxyde de soufre (SO2). Actuellement, de nombreux efforts sont déployés pour utiliser des carburants alternatifs, comme l’hydrogène, afin de rendre l’aviation plus respectueuse de l’environnement. Cependant, la combustion de carburants contenant des liaisons hydrogène, qu’ils soient d’origine fossile ou synthétique, entraîne l’émission de vapeur d’eau, qui est contenue dans les gaz d’échappement. Cette vapeur d’eau peut ensuite se condenser et entraîner la formation de traînées de condensation. Ces traînées sont des nuages artificiels, optiquement minces, semblables à des cirrus, dont on sait qu’ils ont, en moyenne, un effet de réchauffement net sur le climat mondial.
Dans la nouvelle étude de Wolf et al, les simulations de modèles de la réanalyse ERA5 fournie par le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (ECMWF) et les observations de l’IAGOS (In-service Aircraft for a Global Observing System) ont été utilisées pour obtenir des climatologies des régions où les traînées de condensation sont les plus susceptibles de se former et leur relation avec les conditions ambiantes. L’accent est mis sur une région allant de l’est des États-Unis à l’Europe centrale.
Wolf et al. fournit des distributions de la distance typique de traversée d’une zone propice à la formation de traînées de condensation, sur la base des mesures IAGOS et des simulations ERA5 de la température et de l’humidité relative. Il a été constaté que pour IAGOS, 50 % des traversées des régions de traînées de condensation persistantes sont inférieures à 9 km, tandis que dans ERA5, la médiane est de 155 km.
En outre, Wolf et al. a évalué la morphologie des régions de formation de traînées de condensation persistantes en termes de taille, d’orientation, de longueur et de rapport d’aspect des régions individuelles. Les informations relatives à la forme des traînées de condensation persistantes pourraient être utiles à la prise de décisions concernant le reroutage horizontal ou vertical des vols. La moitié des régions de traînées de condensation persistantes ont une superficie inférieure à 35 000 km2 (à 200 hPa) et la médiane de la dimension maximale est inférieure à 760 km (à 200 hPa). En outre, ces régions ont tendance à être de forme quasi-circulaire avec une légère tendance à la forme ovale et un alignement préférentiel le long du flux dominant d’ouest.
Les distributions verticales saisonnières du potentiel de formation de traînées de condensation persistantes sont des informations qui pourraient être utilisées par les compagnies aériennes pour évaluer la distance qu’elles devraient parcourir en moyenne pour se dérouter. Un aperçu saisonnier est donné dans la figure ci-dessous. L’analyse fournit une perspective générale de la distribution temporelle et spatiale de ces régions dans ERA5. Elle montre que les distributions verticales de la formation de traînées de condensation persistantes sont caractérisées par un maximum entre 250 et 200 hPa. La distribution horizontale de ces régions suggère qu’elles sont susceptibles d’apparaître au même endroit sur des niveaux de pression adjacents.
En outre, la température, l’humidité relative et la vitesse du vent sont étudiées afin d’identifier leurs effets sur la formation de traînées de condensation persistantes. La formation de traînées persistantes est principalement limitée par des conditions trop chaudes au-dessous et trop sèches au-dessus de la région de formation. La distribution des traînées persistantes est orientée vers les basses altitudes entre 30° N et 70° N, suivant des lignes de température et d’humidité relative constantes. Dans le cas d’une coïncidence observée entre une vitesse de vent élevée et une formation importante de traînées de condensation persistantes, il est difficile de savoir si les traînées persistantes et le jet-stream sont favorisés par les mêmes conditions météorologiques ou si le jet-stream lui-même favorise l’apparition de traînées persistantes. L’analyse suggère que certaines régions de traînées de condensation persistantes seront difficiles à éviter en reroutant les avions en raison de leurs grandes étendues verticales et horizontales.
L’article complet écrit par Xinyue Wang, Kevin Wolf, Olivier Boucher, et Nicolas Bellouin est à retrouver sur : https://doi.org/10.1029/2024GL108452
Les traînées de condensation sont formées dans l’atmosphère par les gaz d’échappement des moteurs d’avion. En fonction de la température et de l’humidité de l’atmosphère, certaines traînées de condensation peuvent persister pendant plusieurs heures et perturber le bilan radiatif de la Terre. Les dernières études ont montré que l’impact global des traînées de condensation est un réchauffement, mais avec des incertitudes. En particulier, les traînées de condensation qui se transforment en cirrus induits, qui sont les principaux responsables des effets radiatifs induits par les traînées de condensation, montrent des variations de signe et d’ampleur et doivent être quantifiées avec précision.
Xinyue Wang et ses collègues ont combiné des données satellitaires, des données météorologiques et des données sur le trafic aérien pour détecter des traînées persistantes au-dessus de l’Europe occidentale dans des conditions de ciel clair. Des images infrarouges ont été utilisées pour identifier et suivre les traînées de condensation à une fréquence de 15 minutes. Ensuite, les propriétés des nuages, qui sont récupérées à partir des observations des satellites géostationnaires, sont utilisées avec un code de transfert radiatif pour calculer le forçage radiatif de ces traînées qui se sont développées en cirrus induits. Dans ce cas particulier, nous pouvons constater que les cirrus présentent différents signes de forçage radiatif, qui se traduisent par des effets alternatifs de refroidissement et de réchauffement. Pendant les heures de jour, l’effet de refroidissement prédomine, mais il y a aussi des moments où le réchauffement par ondes longues domine, en particulier au-dessus de la surface terrestre. La valeur absolue du forçage radiatif en W/m2 est également très élevée. À titre de comparaison, le forçage du CO2 depuis 1750 calculé par le GIEC est de 1,5 W/m2, soit 10 à 15 fois moins que le forçage radiatif instantané maximal que peut avoir une traînée de condensation. La différence réside dans l’échelle de temps : les traînées de condensation ont un impact très fort pendant quelques heures, alors que le CO2 reste dans l’atmosphère pendant des siècles.
Pour réduire l’impact de l’aviation sur le climat, des stratégies d’évitement des traînées de condensation, telles que le reroutage des avions, sont à l’étude. La méthode utilisée dans cette étude pour quantifier l’impact radiatif horaire des traînées de condensation pourrait être appliquée pour vérifier les avantages de ces stratégies pour le climat.
L’impact des traînées de condensation formées derrière les avions est un sujet important de recherche pour comptabiliser de façon précise la contribution au réchauffement climatique du secteur aérien. Parmi les facteurs influençant la formation et la persistance de ces traînées, la composition du panache et de l’atmosphère fait l’objet de recherche intense mais le rôle joué par le sillage des avions n’a reçu que peu d’attention.
Une étude paramétrique bidimensionnelle sur les effets de la stratification et de la position du jet du moteur le long de l’envergure a donc été réalisée pour évaluer l’impact radiatif potentiel des traînées de condensation précoces. Cette phase a la particularité de présenter une dynamique purement bidimensionnelle. Elle joue un rôle particulier dans la dispersion verticale des traînées de condensation en raison des effets combinés de la stratification et de l’interaction jet-vortex. Le modèle se compose de deux tourbillons contrarotatifs et de deux panaches d’échappement de moteur. Il représente une coupe transversale du sillage de l’avion pendant la phase tourbillonnaire.
L’interactions entre le jet émis par les moteurs à l’origine des traînées et le sillage de l’avion entraîne d’importantes modifications de l’altitude de la traînée (de l’ordre de plusieurs centaines de mètres). Ce changement d’altitude a des conséquences sur l’impact radiatif des traînées puisque le changement de température associé influence le contenu en glace et les propriétés radiatives. Cet entrainement tourbillonnaire dépend fortement du positionnement relatif du jet par rapport aux tourbillons marginaux en bout d’aile. La dispersion du jet est aussi fortement influencée par les forces de flottabilité associées à la stratification de l’atmosphère. Trois comportements principaux sont observés. Pour de faibles niveaux de stratification, le panache de glace descend avec les tourbillons de sillage, générant un faible impact optique. Cet impact est d’autant plus faible que les jets sont proches des tourbillons de bout d’aile. Pour des niveaux élevés de stratification et un faible espacement entre les jets, le panache de glace a tendance à rester à l’altitude de vol et à s’étendre horizontalement, générant un impact optique plus important. Enfin, pour des valeurs élevées de stratification et d’espacement des jets, le panache reste concentré dans les tourbillons à l’altitude de vol, ce qui se traduit par un faible impact optique. Un effet de seuil est constaté, ce qui pourrait permettre d’alimenter des modèles climatiques à plus grande échelle, moins bien résolus. En particulier, un jet situé plus près de l’extrémité de l’aile entraîne des traînées de condensation situées à des altitudes plus basses et une épaisseur optique réduite, ce qui suggère que la position du jet pourrait être un moyen intéressant d’atténuer l’impact radiatif des traînées de condensation.
L’article complet écrit par Olivier Boucher, Nicolas Bellouin, Hannah Clark, Edward Gryspeerdt et Julien Karadayi est à retrouver sur : https://www.mdpi.com/2226-4310/10/9/744
Des meilleures trajectoires pour diminuer l’impact climatique de l’aviation
Optimiser les trajectoires des avions de façon à minimiser les coûts opérationnels est très important pour les compagnies aériennes. Plusieurs paramètres sont à prendre en compte et la consommation de carburant en fait partie. Cependant, les trajectoires de vols ne sont pas totalement optimales en termes de carburant en raison des restrictions de l’espace aérien, des règles de sécurité, de la météo et d’autres contraintes opérationnelles.
L’étude de Climaviation présente deux méthodes pour optimiser la phase de croisière du vol en exploitant au mieux les variations du vent à un niveau de vol donné et pour une vitesse constante. La méthode consiste tout d’abord à faire pivoter la sphère pour que la trajectoire la plus courte entre les points de départ et d’arrivée soient sur l’équateur. Cette reprojection permet de ne pas se soucier des singularités mathématiques aux pôles et permet de « tronçonner » assez naturellement la trajectoire en plusieurs segments de 50 km. La première méthode, dite de descente du gradient, consiste à trouver, pour chaque point, la latitude de manière à minimiser le temps de vol en fonction des vents. La deuxième méthode, qui s’inspire des travaux de Zermelo, ajuste localement la direction de vol à partir d’un jeu de trajectoires avec différentes conditions initiales et sélectionne la meilleure trajectoire qui passe par le point d’arrivée.
En comparant les trajectoires optimisées selon ces méthodes avec celles bien réelles enregistrées dans le cadre du programme IAGOS (In-Service Aircraft for a Global Observing System), nous trouvons un bon accord entre les deux méthodes. De plus, les trajectoires IAGOS sont bien optimisées sur certaines routes, en particulier les routes transatlantiques entre l’Europe et l’Amérique du Nord ou du Sud, mais elles sont moins bien optimisées sur d’autres routes, en particulier les routes intérieures en Asie ou entre l’Europe et l’Asie. Cela est probablement dû aux restrictions de l’espace aérien et des couloirs de vol étroits qui obligent à faire des détours.
Une trajectoire optimisée en fonction des vents minimisera la consommation de carburant et par conséquent les émissions de CO2. Cependant, si l’on considère également les effets non-CO2, la meilleure trajectoire pourra être différente. Pour optimiser des trajectoires qui incluent l’impact climatique des NOx et des traînées de condensation, il convient de s’assurer du bon choix de l’horizon temporel et du coût climatique associé à ces effets mais aussi des incertitudes des modèles à prédire les zones propices à la formation et à la persistance de ces traînées. Cela fera l’objet de travaux futurs sur l’évitement des traînées de condensation.
Nicolas Bellouin, directeur de Climaviation, a été invité à présenter l’impact climatique total de l’aviation, par une présentation de la science des effets non-CO2 au Paris Air Lab lors du Salon du Bourget en juin 2023.
Vous pouvez retrouver la présentation en cliquant sur la vidéo ci-dessous. La conférence débute à la 57ème minute.
Au cours des cent dernières années, le transport aérien est devenu un moyen de transport habituel et le nombre de vols a augmenté chaque année. Cela a un coût et l’aviation mondiale contribue au réchauffement climatique par de multiples facteurs. Le premier facteur qui vient à l’esprit est le CO2, l’aviation étant responsable de 2,5 à 2,6 % du total des émissions anthropiques de CO2 d’origine fossile en 2018 (Friedlingstein et al (2019), Lee et al (2021), Boucher et al (2021)). En plus du CO2, la combustion de combustibles fossiles dans les moteurs à réaction libère des quantités importantes de vapeur d’eau dans l’atmosphère.
Cette vapeur d’eau supplémentaire peut former des traînées de condensation qui émergent derrière les avions (Schumann (1996), Kärcher (2018)). La plupart du temps, ces traînées disparaissent en quelques secondes ou minutes, mais elles peuvent persister jusqu’à une journée en fonction des conditions environnementales (Jensen et al (1994), Schumann (1996), Haywood et al (2009)).
Le critère de Schmidt-Appleman (SAc ; Schmidt (1941), Appleman (1953)) permet généralement d’estimer si une traînée de condensation peut se développer. Si l’air ambiant est suffisamment humide et froid, les gouttelettes d’eau liquide dans le panache d’échappement gèlent en cristaux de glace et forment la traînée de condensation. Pour que ces nuages artificiels soient persistants, l’air ambiant doit être sursaturé par rapport à la glace dans les régions dites sursaturées en glace (Ice Supersaturated Region, ISSR, en anglais).
Alors que les traînées de condensation semblent négligeables, les modèles climatiques et les observations par satellite suggèrent que les traînées de condensation augmentent artificiellement la couverture nuageuse mondiale de 6 à 10 % aux latitudes moyennes de l’hémisphère nord, avec des effets conséquents sur le climat mondial (Burkhardt and Kärcher (2011), Quaas et al (2021)). Même si l’ampleur exacte dépend des conditions ambiantes, dans la plupart des cas, les traînées de condensation réchauffent l’atmosphère terrestre. Par conséquent, la formation de traînées devrait être évitée.
Nous avons analysé un ensemble de données sur huit ans d’observations de radiosondes (RS) lancées depuis Trappes, en France. Les profils RS disponibles ont été marqués pour leur potentiel à former des traînées de condensation non persistantes (NPC) et des traînées de condensation persistantes (PC). Pour cette étude, nous avons introduit une nouvelle, troisième catégorie, appelée « réservoir », qui ne remplit pas la SAc mais qui est néanmoins sursaturée en glace. Ce réservoir fournit une estimation de la propagation potentielle des traînées de condensation existantes au-delà des régions sujettes à la formation de NPC et de PC.
Un fait intéressant et contre-intuitif : rendre les moteurs à réaction plus efficaces augmente généralement les chances de formation de traînées de condensation. L’efficacité accrue conduit à un panache d’échappement plus froid qui contient la même quantité de vapeur d’eau et, par conséquent, peut former des traînées de condensation à une température ambiante plus élevée et plus souvent. Si les moteurs plus efficaces émettent moins de CO2 dans l’atmosphère, la fréquence plus élevée des traînées de condensation peut contribuer au réchauffement climatique.
En utilisant les profils RS de Trappes et en séparant les situations NPC, PC et R, nous avons trouvé la fréquence d’occurrence la plus élevée pour les NPC qui apparaissent dans jusqu’à 60% de tous les profils en hiver. En revanche, un minimum est atteint en été. Les PC apparaissent généralement moins fréquemment et sont identifiés dans 30 à 40% des profils tout au long de l’année. Les conditions de réservoir sont encore plus rares et se retrouvent dans environ 20% des profils.
Pour estimer l’occurrence réelle des traînées de condensation, nous avons combiné les informations sur le potentiel de formation des traînées de condensation avec le trafic aérien réel au-dessus de Paris. Les profils résultants sont toujours dominés par le NPC, surtout en hiver et au printemps. Pour l’été, une importance croissante des PC est déterminée, car ils se chevauchent avec l’altitude du trafic aérien le plus élevé. La catégorie des réservoirs n’apparaît qu’en été et en automne, et est négligeable pendant les autres saisons.
Pour répondre à la question de savoir s’il faut voler à des altitudes plus élevées ou plus basses pour éviter les traînées de condensation, la distribution actuelle du trafic aérien est décalée. L’augmentation de l’altitude de vol de 0,8 km réduit la formation de traînées de condensation en hiver, tandis qu’une réduction de l’altitude de vol en été est nécessaire pour minimiser la formation potentielle de traînées de condensation. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que les avions fonctionnent déjà dans leur plage d’altitude optimale et que les déviations maximales vers des altitudes plus basses ou plus élevées sont limitées par l’augmentation de la densité de l’air et de la traînée aérodynamique (limite inférieure) ainsi que par le vol dans la stratosphère (limite supérieure).
Nous avons également examiné les liens entre la formation des traînées de condensation et la tropopause thermique (TT) et le jet-stream (vents forts et persistants à environ 10 km d’altitude dans lesquels les avions ont tendance à voler pour économiser du carburant). L’altitude médiane des NPC est située au niveau de la TT (été) et jusqu’à 1,5 km au-dessus de la TT (hiver). Les NPC sont situés entre -2 km (hiver) et -1 km en dessous du TT (été). En ce qui concerne le jet-stream, l’altitude médiane des NPC est de 2 km (hiver) et de 1 km (été) au-dessus du jet-stream. Les PC sont identifiés comme étant à la même altitude que le jet-stream, suivant également la variation interannuelle de sa localisation.
L’industrie aéronautique cherche à devenir plus respectueuse de l’environnement et a commencé à développer de nouveaux systèmes de propulsion qui utilisent des carburants alternatifs comme l’éthanol, le méthane ou l’hydrogène. Ces carburants ont d’autres caractéristiques que le kérosène actuel et, par conséquent, d’autres seuils pour la formation de traînées. Dans l’étude décrite, nous supposons que l’hydrogène est brûlé dans des moteurs comparables à la technologie actuelle, plutôt qu’utilisé dans une pile à combustible. Sur cette base, nous avons estimé l’influence de ces carburants sur la probabilité de formation potentielle de traînées de condensation. Le passage à l’un ou l’autre des carburants alternatifs conduit à une augmentation générale des traînées potentiels, en particulier des NPC. La plus grande augmentation a été trouvée pour l’hydrogène avec une augmentation de 155% en été. Pour le PC, l’augmentation est moins significative. La combinaison de l’augmentation mineure de la formation de PC et du carburant hydrogène potentiellement neutre en CO2, s’il est produit avec de l’énergie renouvelable, fait des avions à hydrogène une solution attrayante.
Nous aimerions guider le lecteur intéressé vers la publication dont le lien figure ci-dessus et qui contient tous les détails de l’étude.
Ces effets « non-CO2 » sont liés aux oxydes d’azote (NOx), à la vapeur d’eau, et aux particules – aussi appelées aérosols lorsque ces particules sont en suspension dans l’air – émis lors de la combustion du kérosène par les moteurs.
Les effets non-CO₂ de l’aviation
Les NOx n’ont pas d’effet direct sur le climat, mais ils ont un impact sur l’ozone (dont ils contribuent à augmenter la concentration à court terme) et le méthane (dont ils contribuent à diminuer la concentration sur le moyen terme). Or l’ozone (O3) et le méthane (CH4) sont deux gaz à effet de serre.
Dans les conditions actuelles, il est couramment admis que l’effet réchauffant de l’augmentation de l’ozone due à l’aviation l’emporte sur l’effet refroidissant de la diminution du méthane. L’effet résultant dépend non seulement de la quantité de NOx émise, qui dépend des modèles d’avion, mais aussi de l’altitude, de la latitude et de la saison du vol.
La vapeur d’eau émise par les avions est un gaz à effet de serre qui tend à réchauffer le climat quand elle est émise en altitude. Mais, surtout, elle est à l’origine de traînées de condensation quand les conditions atmosphériques permettent leur formation – et la transformation occasionnelle de celles-ci en nuages cirrus.
Dans ce dernier cas, on parle de « cirrus induits par les traînées » ; la glace qui constitue les cirrus ne se serait pas condensée sans le passage de l’avion ou alors elle l’aurait fait seulement plus tard.
L’effet de serre réchauffant des traînées d’avion et des cirrus l’emporte sur leur effet d’albédo refroidissant. Mais, là aussi, il y a des variations très importantes sur l’effet total selon les conditions atmosphériques, la latitude, l’heure du vol et la saison.
Enfin, les particules émises par les avions peuvent modifier les propriétés optiques des différents types de nuages qu’elles rencontrent avant d’être entraînées par les pluies ou déposées à la surface. Ces effets sont néanmoins très complexes et encore très incertains, si bien que même leur caractère réchauffant ou refroidissant reste inconnu.
Des échelles de temps différentes
Plusieurs échelles de temps distinctes sont associées à ces différents effets.
À l’inverse, les NOx, les particules et la vapeur d’eau disparaissent de l’atmosphère après quelques semaines s’ils sont émis à l’altitude de croisière des avions. Il en est de même de leurs effets induits sur l’ozone ou sur les nuages.
En revanche, les effets des NOx émis par l’aviation sur le méthane se matérialisent sur une échelle de temps intermédiaire puisque la durée de vie du méthane dans l’atmosphère suite à une perturbation est de 12 ans.
Au-delà des échelles de temps associées à la durée de vie des espèces chimiques, il faut aussi considérer celles du système climatique lui-même. Une perturbation de l’énergie introduite dans le système climatique, même sur une courte durée, a un impact durable sur le climat, car l’océan absorbe cette énergie additionnelle avant de la restituer progressivement à l’atmosphère.
L’indice de forçage radiatif, une mauvaise idée pour comptabiliser les émissions
On mesure habituellement les perturbations du climat via le concept de « forçage radiatif » : cette quantité mesure le déséquilibre radiatif de la planète dû aux émissions passées ; elle est exprimée par rapport à une période de référence généralement fixée à 1850, une époque où les activités industrielles étaient encore faibles.
Pour le CO2, qui a une longue durée de vie dans l’atmosphère, et dans une moindre mesure le méthane, cela intègre les émissions passées qui impactent durablement les concentrations atmosphériques. Pour des polluants à courte durée de vie, seules les émissions les plus récentes importent, car les émissions les plus anciennes n’exercent plus de forçage radiatif.
Pour le secteur de l’aviation, en l’état actuel des connaissances, les effets non-CO2 sont responsables d’un forçage radiatif positif qui tend à réchauffer le climat. Le rapport entre le forçage radiatif total et le forçage radiatif dû au CO2 est appelé Radiative Forcing Index (ou RFI).
Certains calculateurs de l’empreinte carbone utilisent le RFI comme facteur multiplicatif des émissions de CO2 pour prendre en compte les effets non-CO2 et « convertir » ainsi les émissions de CO2 en « CO2-équivalent ». Nous estimons toutefois que cela n’a pas grand sens.
Pour nous en convaincre, nous pouvons faire l’expérience de pensée suivante : admettons qu’avant la crise du Covid-19, en 2019, les effets non-CO2 soient responsables d’un forçage radiatif double de celui du CO2, ce qui correspond à un RFI de 3 (c’est-à-dire, (2 + 1)/1). À une tonne de CO2 émise par l’aviation correspondraient donc 3 tonnes de « CO2-équivalent ».
Au pic de la crise du Covid-19, au printemps 2020, l’activité aérienne a été divisée par un facteur 4. Les émissions de CO2 dues à l’aviation ont alors drastiquement baissé par rapport à leur niveau de 2019, mais cela n’a pas entraîné une diminution du forçage radiatif dû au CO2, car sa concentration dans l’atmosphère a continué de croître.
Le forçage radiatif des effets non-CO2, au contraire, a diminué de concert avec la diminution du trafic (voire plus d’un facteur 4, car les effets sur le méthane des émissions passées perdurent dans le temps). Pendant le Covid-19, en prenant en compte le même forçage radiatif pour le CO2 – qui n’augmente que très légèrement d’une année sur l’autre – mais un forçage divisé par 4 pour les effets « non-CO2 » pour prendre en considération la réduction du trafic en 2020, nous arrivons à un RFI de 1,5 (c’est-à-dire, (2/4 + 1)/1). À une tonne de CO2 émise par l’aviation ne correspondraient donc plus que 1,5 tonnes de CO2-équivalent au lieu des 3 tonnes de CO2-équivalent d’avant le Covid.
On arrive ici à un non-sens car les vols réalisés au printemps 2020 ont bien entendu le même impact climatique que les mêmes vols réalisés au printemps 2019 ! Il n’y a donc pas de raison que les vols de 2020 « comptent » moitié moins que ceux de 2019.
La raison fondamentale pour laquelle le RFI n’est pas approprié comme coefficient multiplicatif est que le forçage radiatif cumule les effets des émissions passées alors que nous souhaitons comparer les effets climatiques des émissions actuelles, soit pour attribuer à un utilisateur de l’aviation sa juste part d’émissions, soit pour évaluer différentes options d’ordre technologique ou opérationnelle qui pourraient être mises en œuvre dans le futur.
Quelle métrique climatique utiliser ?
Heureusement, il existe des métriques du changement climatique qui permettent d’estimer l’impact climatique futur d’un vol effectué aujourd’hui, et ce malgré la courte échelle de temps du forçage radiatif des effets non-CO2.
En particulier, le pouvoir de réchauffement global (PRG), qui permet de mesurer l’impact radiatif sur une période future, typiquement 100 ans, d’émissions qui ont lieu de manière ponctuelle. On peut alors comparer le PRG d’un kg de polluant (comme le CH4 ou les NOx) avec celui d’un kg de CO2 et le concept peut facilement être étendu aux traînées d’avion.
Une autre métrique, le pouvoir de changement global de température (PGT), est définie de manière similaire, mais à partir de la variation de la température moyenne à la surface à une certaine échéance (50 ou 100 ans) après un pulse d’émission.
Ces métriques conduisent à des facteurs multiplicatifs du CO2 beaucoup plus faibles que le RFI sauf si des échéances beaucoup plus courtes que 50 ans sont choisies. Le choix de l’échéance est un choix politique qui peut avoir des implications importantes. Une échéance courte néglige la partie substantielle du réchauffement dû au CO2 qui se produit au-delà de l’échéance. Choisir une échéance longue peut minimiser l’efficacité à court terme des solutions de réduction du réchauffement basées sur les effets non-CO2.
Afin d’illustrer l’importance de la métrique utilisée pour estimer l’impact total de l’aviation sur le climat ou lors du calcul de l’empreinte carbone, comparons le RFI de l’aviation aux facteurs multiplicatifs associés à ces autres métriques.
D’après une estimation récente, les différents forçages radiatifs de l’aviation entraînent un RFI de 2,9. Si l’on utilise le PRG à un horizon temporel de 100 ans pour calculer les émissions équivalentes des différentes perturbations de l’aviation, on en déduit un facteur multiplicatif de 1,7. Pour le PGT à une échéance temporelle de 100 ans également, le facteur multiplicatif n’est plus que de 1,1.
On voit donc que le choix d’une métrique plutôt qu’une autre s’avère bien crucial pour calculer le facteur multiplicatif.
Une aide à la décision
Certaines solutions envisagées pour réduire les impacts climatiques de l’aviation ont le double avantage de diminuer à la fois les effets CO2 et non-CO2.
Dans ce cas de figure, les métriques servent simplement à quantifier le gain net pour le climat. En revanche, d’autres solutions nécessitent de faire un compromis entre les effets CO2 et non-CO2 de l’aviation. Par exemple, les fabricants de moteurs savent réduire les émissions de NOx mais souvent au détriment des émissions de CO2. Un carburant partiellement ou totalement décarboné, comme l’hydrogène, pourrait induire des effets non-CO2 plus importants.
On peut aussi envisager des stratégies de modification des trajectoires des avions pour diminuer les effets des traînées ou des NOx, mais au prix sans doute d’une augmentation de la consommation de carburant et donc du CO2 émis. Il est pertinent dans ces cas de figure de comparer les différents effets (CO2 et non-CO2) avec plusieurs métriques adaptées pour comprendre quel effet l’emporte sur l’autre et à quelles échéances (20, 50 et 100 ans par exemple) et pouvoir prendre les meilleures décisions possibles.
En l’état actuel de nos connaissances, les effets non-CO2 de l’aviation ont, dans l’ensemble, un effet réchauffant sur le climat. Il est donc pertinent d’essayer de les réduire pour diminuer l’impact total de l’aviation sur le réchauffement.
Il faut aussi s’assurer que les technologies en cours de développement pour décarboner l’aviation n’induisent pas des effets non-CO2 trop importants. Chaque solution doit être examinée et ses impacts doivent être évalués avec les métriques climatiques les plus adaptées sans oublier de prendre en compte d’éventuels autres impacts (qualité de l’air, bruit, biodiversité…).
Climaviation, un projet innovant pour réduire l’impact de l’aviation sur le climat
Le projet Climaviation a pour ambition de mieux comprendre et quantifier les impacts climatiques de l’aviation. Il est dirigé par Nicolas Bellouin, climatologue au Royaume-Uni et titulaire de la chaire Aviation et climat à l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL). Ce contributeur au sixième rapport du GIEC nous explique ici les objectifs de ce projet ambitieux qui réunit des scientifiques de l’IPSL et de l’Office National d’Etudes et de Recherches Aérospatiales (ONERA).
Dans quel contexte est né le projet Climaviation ?
Nicolas Bellouin : Face au réchauffement climatique et à la nécessité de diminuer les émissions de dioxyde de carbone (CO2), l’aviation s’est engagée dans une stratégie de décarbonation à l’échelle mondiale. La tâche est particulièrement difficile pour ce secteur économique où le CO2 reste très présent et où chaque innovation envisagée sur les avions doit être testée et approuvée avant d’être mise en place.
Dans ce contexte, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) a financé sur cinq ans le projet Climaviation afin d’explorer différentes solutions visant à réduire les impacts climatiques de l’aviation.
Quel est l’objectif de ce projet ?
N. B. : Chacun sait que l’aviation émet du CO2 et qu’il faut réduire ces émissions. Mais le CO2 n’est pas le seul coupable. Les moteurs d’avion émettent d’autres composés : oxydes d’azote, vapeur d’eau, particules. Si les conditions sont réunies, la vapeur d’eau et les particules forment des trainées de condensation derrière les appareils. Certaines de ces trainées persistent et continuent de s’étendre en formant de grands champs de nuages de glace qui perturbent le bilan radiatif terrestre. C’est l’un des effets de l’aviation qualifiés d’effets « non-CO2 ».
Selon les modélisations climatiques récentes, l’impact de ces effets pourrait être supérieur à celui du CO2. Mais il reste incertain en raison de la complexité des mécanismes à modéliser et des échelles à prendre en compte dans les simulations. De nombreuses questions se posent concernant la taille et les propriétés de la couverture nuageuse induite par les trainées, leur durée de vie dans l’atmosphère, la formation et la composition des cristaux de glace, l’impact d’un changement de carburant sur la chimie de l’atmosphère, etc.
L’objectif du projet Climaviation est donc de comprendre et quantifier ces effets pour mieux les prendre en compte dans les stratégies de réduction de l’impact climatique.
Quelles solutions explorez-vous pour réduire l’impact de l’aviation sur le climat ?
N. B. : L’industrie aéronautique intensifie ses efforts pour améliorer le rendement des moteurs existants ou recourir à des carburants alternatifs à faible empreinte carbone, voire à de nouveaux vecteurs énergétiques décarbonés comme l’hydrogène.
Nous nous intéressons aussi à des stratégies alternatives qui reposent en grande partie sur la flotte existante : changer l’altitude de vol, utiliser les courants ascendants, adapter l’heure des vols, etc. Si ces stratégies ne nécessitent pas forcément de changement technologique, il faut néanmoins vérifier qu’elles sont efficaces et en mesurer les impacts à court et long termes.
La DGAC a donc besoin de notre conseil scientifique pour déterminer quelles sont, parmi l’ensemble de ces solutions, celles qui, non seulement réduisent les émissions de CO2, mais aussi limitent les effets non-CO2.
Il s’agit d’un projet de recherche pluridisciplinaire mêlant des forces de Sorbonne Université et de l’ONERA. Comment s’articule cette collaboration ?
N. B. : Ce projet rassemble une trentaine de scientifiques. Parmi eux : des physiciens de l’atmosphère, des physiciens des nuages, des chimistes, des observateurs, des spécialistes de la détection automatique des formes, etc.
Les scientifiques de l’ONERA savent modéliser l’impact que va générer, au niveau de l’atmosphère, le changement d’un moteur ou d’un carburant sur une échelle spatio-temporelle de quelques secondes et de quelques mètres derrière l’avion. À l’IPSL, nous modélisons ce qui se passe à des échelles bien plus grandes : au niveau de la planète et sur plusieurs heures, années voire siècles. À travers notre collaboration, nous essayons de combler l’écart qui existe entre ces deux ordres de grandeur.
Notre ambition est de connecter les modèles de l’ONERA aux modèles climatiques développés par l’IPSL afin de construire des outils scientifiques pérennes utilisables pour estimer l’impact climatique de n’importe quelle nouvelle solution proposée dans l’aviation.
Estimer la part du forçage radiatif du CO2 qui peut être attribuée au secteur de l’aviation peut sembler facile. En effet, les émissions de CO2 de l’aviation sont bien connues, l’augmentation de la concentration atmosphérique de CO2 est bien observée et les impacts radiatifs du CO2 sont bien compris et quantifiés. Cependant, il existe également un certain nombre de facteurs de complication : le forçage radiatif du CO2 dépend logarithmiquement de la variation de la concentration atmosphérique et l’efficacité des puits naturels de CO2 évolue dans le temps. Tous ces effets doivent être pris en compte si l’on veut procéder à une attribution correcte.
Une méthode populaire, utilisée par Lee et al. (2021) et d’autres, est la méthode d’attribution résiduelle, par laquelle le forçage radiatif pour un secteur particulier (le secteur de l’aviation dans ce cas) est calculé comme la différence entre le forçage radiatif total du CO2 et le forçage radiatif du CO2 si ce secteur particulier n’avait pas existé. Cependant, cette méthode présente un inconvénient majeur qui n’a pas été pris en compte par les auteurs précédents. Le forçage radiatif du CO2 n’étant pas linéaire en fonction de la concentration, le forçage radiatif total de tous les secteurs considérés ensemble n’est pas le même que la somme des forçages radiatifs de chaque secteur considéré individuellement. En outre, l’aviation se distingue de nombreux autres secteurs en ce qu’elle est apparue relativement tard dans la période industrielle. Il est donc essentiel de différencier l’impact des émissions précoces et tardives car elles ne contribuent pas de la même manière à la concentration atmosphérique et au forçage radiatif actuels. L’aviation a commencé il y a seulement quelques décennies, ses émissions peuvent donc contribuer relativement plus à la variation des concentrations de CO2, mais relativement moins au forçage radiatif du CO2 en raison de la dépendance logarithmique.
Différentes méthodes existent pour résoudre ces problèmes. Dans cette étude, nous avons utilisé les méthodes d’attribution proportionnelle, différentielle et par tranches de temps. Les deux dernières méthodes nécessitent de calculer la concentration de CO2 au temps t due aux émissions de l’aviation et de toutes les activités anthropiques jusqu’à un temps t’ avant le temps t. Nous avons utilisé le modèle compact du système terrestre OSCAR et les données historiques des émissions de CO2 pour estimer les différentes valeurs. Cela nous permet de tenir compte de la façon dont la concentration de CO2 diminue lorsque les puits naturels séquestrent le CO2 émis au fil du temps.
Nous avons constaté que les méthodes les plus rigoureuses (les méthodes proportionnelle, différentielle et par tranches de temps) conduisent à un forçage radiatif du CO2 par l’aviation supérieur de 20 %, 13 % et 12 % à la méthode marginale qui sous-estime le véritable forçage radiatif du CO2 par l’aviation. Toutefois, cela est compensé par la contribution plus faible à l’augmentation de la concentration atmosphérique de CO2 que nous avons estimée à l’aide de notre modèle bien calibré. Nous estimons que l’aviation a contribué à hauteur de 2,18 ppm à l’augmentation de la concentration atmosphérique de CO2 en 2018, ce qui est inférieur aux valeurs de 2,9, 2,4 et 2,4 ppm trouvées dans une étude précédente reposant sur des modèles moins sophistiqués. Notre étude fournit donc une base et une méthodologie claires pour les évaluations futures de l’impact de l’aviation sur le cycle du carbone et le forçage radiatif du CO2.