Boucher et al. (2021) : Quelle fraction du forçage radiatif du CO2 peut être attribuée à l’aviation ?

L’article complet écrit par Olivier Boucher, Audran Borella, Thomas Gasser et Didier Hauglustaine est à retouver sur:
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1352231021005847


Estimer la part du forçage radiatif du CO2 qui peut être attribuée au secteur de l’aviation peut sembler facile. En effet, les émissions de CO2 de l’aviation sont bien connues, l’augmentation de la concentration atmosphérique de CO2 est bien observée et les impacts radiatifs du CO2 sont bien compris et quantifiés. Cependant, il existe également un certain nombre de facteurs de complication : le forçage radiatif du CO2 dépend logarithmiquement de la variation de la concentration atmosphérique et l’efficacité des puits naturels de CO2 évolue dans le temps. Tous ces effets doivent être pris en compte si l’on veut procéder à une attribution correcte.

Une méthode populaire, utilisée par Lee et al. (2021) et d’autres, est la méthode d’attribution résiduelle, par laquelle le forçage radiatif pour un secteur particulier (le secteur de l’aviation dans ce cas) est calculé comme la différence entre le forçage radiatif total du CO2 et le forçage radiatif du CO2 si ce secteur particulier n’avait pas existé. Cependant, cette méthode présente un inconvénient majeur qui n’a pas été pris en compte par les auteurs précédents. Le forçage radiatif du CO2 n’étant pas linéaire en fonction de la concentration, le forçage radiatif total de tous les secteurs considérés ensemble n’est pas le même que la somme des forçages radiatifs de chaque secteur considéré individuellement. En outre, l’aviation se distingue de nombreux autres secteurs en ce qu’elle est apparue relativement tard dans la période industrielle. Il est donc essentiel de différencier l’impact des émissions précoces et tardives car elles ne contribuent pas de la même manière à la concentration atmosphérique et au forçage radiatif actuels. L’aviation a commencé il y a seulement quelques décennies, ses émissions peuvent donc contribuer relativement plus à la variation des concentrations de CO2, mais relativement moins au forçage radiatif du CO2 en raison de la dépendance logarithmique.

Différentes méthodes existent pour résoudre ces problèmes. Dans cette étude, nous avons utilisé les méthodes d’attribution proportionnelle, différentielle et par tranches de temps. Les deux dernières méthodes nécessitent de calculer la concentration de CO2 au temps t due aux émissions de l’aviation et de toutes les activités anthropiques jusqu’à un temps t’ avant le temps t. Nous avons utilisé le modèle compact du système terrestre OSCAR et les données historiques des émissions de CO2 pour estimer les différentes valeurs. Cela nous permet de tenir compte de la façon dont la concentration de CO2 diminue lorsque les puits naturels séquestrent le CO2 émis au fil du temps.

Nous avons constaté que les méthodes les plus rigoureuses (les méthodes proportionnelle, différentielle et par tranches de temps) conduisent à un forçage radiatif du CO2 par l’aviation supérieur de 20 %, 13 % et 12 % à la méthode marginale qui sous-estime le véritable forçage radiatif du CO2 par l’aviation. Toutefois, cela est compensé par la contribution plus faible à l’augmentation de la concentration atmosphérique de CO2 que nous avons estimée à l’aide de notre modèle bien calibré. Nous estimons que l’aviation a contribué à hauteur de 2,18 ppm à l’augmentation de la concentration atmosphérique de CO2 en 2018, ce qui est inférieur aux valeurs de 2,9, 2,4 et 2,4 ppm trouvées dans une étude précédente reposant sur des modèles moins sophistiqués. Notre étude fournit donc une base et une méthodologie claires pour les évaluations futures de l’impact de l’aviation sur le cycle du carbone et le forçage radiatif du CO2.