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Présentation des effets non-CO2 au Paris Air Lab du Salon du Bourget
Nicolas Bellouin, directeur de Climaviation, a été invité à présenter l’impact climatique total de l’aviation, par une présentation de la science sur les effets non-CO2 au Paris Air Lab lors du Salon du Bourget en juin 2023.
Vous pouvez retrouver la présentation en cliquant sur la vidéo à droite. La conférence débute à la 57ème minute.
CO2, NOx, vapeur d’eau et aérosols : comment bien comptabiliser tous les effets de l’aviation sur le climat
Article de TheConversation France sur les effets de l’aviation sur le climat publié le 15 novembre 2022.
Comme tout secteur économique, l’aviation a un impact sur le climat et contribue au réchauffement climatique en cours.
Cette contribution est largement dominée par les émissions en vol des avions : elle est due aux émissions de dioxyde de carbone (CO2) – en 2018, elles représentaient 2,5% des émissions mondiales de CO2 dues aux énergies fossiles –, mais aussi à un certain nombre d’effets dits « non-CO2 ».
Ces effets « non-CO2 » sont liés aux oxydes d’azote (NOx), à la vapeur d’eau, et aux particules – aussi appelées aérosols lorsque ces particules sont en suspension dans l’air – émis lors de la combustion du kérosène par les moteurs.
Les effets non-CO2 de l’aviation
Les NOx n’ont pas d’effet direct sur le climat, mais ils ont un impact sur l’ozone (dont ils contribuent à augmenter la concentration à court terme) et le méthane (dont ils contribuent à diminuer la concentration sur le moyen terme). Or l’ozone (O3) et le méthane (CH4) sont deux gaz à effet de serre.
Dans les conditions actuelles, il est couramment admis que l’effet réchauffant de l’augmentation de l’ozone due à l’aviation l’emporte sur l’effet refroidissant de la diminution du méthane. L’effet résultant dépend non seulement de la quantité de NOx émise, qui dépend des modèles d’avion, mais aussi de l’altitude, de la latitude et de la saison du vol.
La vapeur d’eau émise par les avions est un gaz à effet de serre qui tend à réchauffer le climat quand elle est émise en altitude. Mais, surtout, elle est à l’origine de traînées de condensation quand les conditions atmosphériques permettent leur formation – et la transformation occasionnelle de celles-ci en nuages cirrus.
Dans ce dernier cas, on parle de « cirrus induits par les traînées » ; la glace qui constitue les cirrus ne se serait pas condensée sans le passage de l’avion ou alors elle l’aurait fait seulement plus tard.
L’effet de serre réchauffant des traînées d’avion et des cirrus l’emporte sur leur effet d’albédo refroidissant. Mais, là aussi, il y a des variations très importantes sur l’effet total selon les conditions atmosphériques, la latitude, l’heure du vol et la saison.
Enfin, les particules émises par les avions peuvent modifier les propriétés optiques des différents types de nuages qu’elles rencontrent avant d’être entraînées par les pluies ou déposées à la surface. Ces effets sont néanmoins très complexes et encore très incertains, si bien que même leur caractère réchauffant ou refroidissant reste inconnu.
Des échelles de temps différentes
Plusieurs échelles de temps distinctes sont associées à ces différents effets.
Le CO2 est un gaz à longue durée de vie dans l’atmosphère. Quand une tonne de CO2 fossile est émise dans l’atmosphère, environ 30 % de l’augmentation initiale de la concentration persiste après 100 ans et encore 20 % après 400 ans.
À l’inverse, les NOx, les particules et la vapeur d’eau disparaissent de l’atmosphère après quelques semaines s’ils sont émis à l’altitude de croisière des avions. Il en est de même de leurs effets induits sur l’ozone ou sur les nuages.
En revanche, les effets des NOx émis par l’aviation sur le méthane se matérialisent sur une échelle de temps intermédiaire puisque la durée de vie du méthane dans l’atmosphère suite à une perturbation est de 12 ans.
Au-delà des échelles de temps associées à la durée de vie des espèces chimiques, il faut aussi considérer celles du système climatique lui-même. Une perturbation de l’énergie introduite dans le système climatique, même sur une courte durée, a un impact durable sur le climat, car l’océan absorbe cette énergie additionnelle avant de la restituer progressivement à l’atmosphère.
L’indice de forçage radiatif, une mauvaise idée pour comptabiliser les émissions
On mesure habituellement les perturbations du climat via le concept de « forçage radiatif » : cette quantité mesure le déséquilibre radiatif de la planète dû aux émissions passées ; elle est exprimée par rapport à une période de référence généralement fixée à 1850, une époque où les activités industrielles étaient encore faibles.
Pour le CO2, qui a une longue durée de vie dans l’atmosphère, et dans une moindre mesure le méthane, cela intègre les émissions passées qui impactent durablement les concentrations atmosphériques. Pour des polluants à courte durée de vie, seules les émissions les plus récentes importent, car les émissions les plus anciennes n’exercent plus de forçage radiatif.
Pour le secteur de l’aviation, en l’état actuel des connaissances, les effets non-CO2 sont responsables d’un forçage radiatif positif qui tend à réchauffer le climat. Le rapport entre le forçage radiatif total et le forçage radiatif dû au CO2 est appelé Radiative Forcing Index (ou RFI).
Certains calculateurs de l’empreinte carbone utilisent le RFI comme facteur multiplicatif des émissions de CO2 pour prendre en compte les effets non-CO2 et « convertir » ainsi les émissions de CO2 en « CO2-équivalent ». Nous estimons toutefois que cela n’a pas grand sens.
Pour nous en convaincre, nous pouvons faire l’expérience de pensée suivante : admettons qu’avant la crise du Covid-19, en 2019, les effets non-CO2 soient responsables d’un forçage radiatif double de celui du CO2, ce qui correspond à un RFI de 3 (c’est-à-dire, (2 + 1)/1). À une tonne de CO2 émise par l’aviation correspondraient donc 3 tonnes de « CO2-équivalent ».
Au pic de la crise du Covid-19, au printemps 2020, l’activité aérienne a été divisée par un facteur 4. Les émissions de CO2 dues à l’aviation ont alors drastiquement baissé par rapport à leur niveau de 2019, mais cela n’a pas entraîné une diminution du forçage radiatif dû au CO2, car sa concentration dans l’atmosphère a continué de croître.
Le forçage radiatif des effets non-CO2, au contraire, a diminué de concert avec la diminution du trafic (voire plus d’un facteur 4, car les effets sur le méthane des émissions passées perdurent dans le temps). Pendant le Covid-19, en prenant en compte le même forçage radiatif pour le CO2 – qui n’augmente que très légèrement d’une année sur l’autre – mais un forçage divisé par 4 pour les effets « non-CO2 » pour prendre en considération la réduction du trafic en 2020, nous arrivons à un RFI de 1,5 (c’est-à-dire, (2/4 + 1)/1). À une tonne de CO2 émise par l’aviation ne correspondraient donc plus que 1,5 tonnes de CO2-équivalent au lieu des 3 tonnes de CO2-équivalent d’avant le Covid.
On arrive ici à un non-sens car les vols réalisés au printemps 2020 ont bien entendu le même impact climatique que les mêmes vols réalisés au printemps 2019 ! Il n’y a donc pas de raison que les vols de 2020 « comptent » moitié moins que ceux de 2019.
La raison fondamentale pour laquelle le RFI n’est pas approprié comme coefficient multiplicatif est que le forçage radiatif cumule les effets des émissions passées alors que nous souhaitons comparer les effets climatiques des émissions actuelles, soit pour attribuer à un utilisateur de l’aviation sa juste part d’émissions, soit pour évaluer différentes options d’ordre technologique ou opérationnelle qui pourraient être mises en œuvre dans le futur.
Quelle métrique climatique utiliser ?
Heureusement, il existe des métriques du changement climatique qui permettent d’estimer l’impact climatique futur d’un vol effectué aujourd’hui, et ce malgré la courte échelle de temps du forçage radiatif des effets non-CO2.
En particulier, le pouvoir de réchauffement global (PRG), qui permet de mesurer l’impact radiatif sur une période future, typiquement 100 ans, d’émissions qui ont lieu de manière ponctuelle. On peut alors comparer le PRG d’un kg de polluant (comme le CH4 ou les NOx) avec celui d’un kg de CO2 et le concept peut facilement être étendu aux traînées d’avion.
Une autre métrique, le pouvoir de changement global de température (PGT), est définie de manière similaire, mais à partir de la variation de la température moyenne à la surface à une certaine échéance (50 ou 100 ans) après un pulse d’émission.
Ces métriques conduisent à des facteurs multiplicatifs du CO2 beaucoup plus faibles que le RFI sauf si des échéances beaucoup plus courtes que 50 ans sont choisies. Le choix de l’échéance est un choix politique qui peut avoir des implications importantes. Une échéance courte néglige la partie substantielle du réchauffement dû au CO2 qui se produit au-delà de l’échéance. Choisir une échéance longue peut minimiser l’efficacité à court terme des solutions de réduction du réchauffement basées sur les effets non-CO2.
Afin d’illustrer l’importance de la métrique utilisée pour estimer l’impact total de l’aviation sur le climat ou lors du calcul de l’empreinte carbone, comparons le RFI de l’aviation aux facteurs multiplicatifs associés à ces autres métriques.
D’après une estimation récente, les différents forçages radiatifs de l’aviation entraînent un RFI de 2,9. Si l’on utilise le PRG à un horizon temporel de 100 ans pour calculer les émissions équivalentes des différentes perturbations de l’aviation, on en déduit un facteur multiplicatif de 1,7. Pour le PGT à une échéance temporelle de 100 ans également, le facteur multiplicatif n’est plus que de 1,1.
On voit donc que le choix d’une métrique plutôt qu’une autre s’avère bien crucial pour calculer le facteur multiplicatif.
Une aide à la décision
Certaines solutions envisagées pour réduire les impacts climatiques de l’aviation ont le double avantage de diminuer à la fois les effets CO2 et non-CO2.
Dans ce cas de figure, les métriques servent simplement à quantifier le gain net pour le climat. En revanche, d’autres solutions nécessitent de faire un compromis entre les effets CO2 et non-CO2 de l’aviation. Par exemple, les fabricants de moteurs savent réduire les émissions de NOx mais souvent au détriment des émissions de CO2. Un carburant partiellement ou totalement décarboné, comme l’hydrogène, pourrait induire des effets non-CO2 plus importants.
On peut aussi envisager des stratégies de modification des trajectoires des avions pour diminuer les effets des traînées ou des NOx, mais au prix sans doute d’une augmentation de la consommation de carburant et donc du CO2 émis. Il est pertinent dans ces cas de figure de comparer les différents effets (CO2 et non-CO2) avec plusieurs métriques adaptées pour comprendre quel effet l’emporte sur l’autre et à quelles échéances (20, 50 et 100 ans par exemple) et pouvoir prendre les meilleures décisions possibles.
En l’état actuel de nos connaissances, les effets non-CO2 de l’aviation ont, dans l’ensemble, un effet réchauffant sur le climat. Il est donc pertinent d’essayer de les réduire pour diminuer l’impact total de l’aviation sur le réchauffement.
Il faut aussi s’assurer que les technologies en cours de développement pour décarboner l’aviation n’induisent pas des effets non-CO2 trop importants. Chaque solution doit être examinée et ses impacts doivent être évalués avec les métriques climatiques les plus adaptées sans oublier de prendre en compte d’éventuels autres impacts (qualité de l’air, bruit, biodiversité…).
L’article est republié à partir de The Conversation. Lire l’article original.
Climaviation, un projet innovant pour réduire l’impact de l’aviation sur le climat
Entretien avec Nicolas Bellouin, climatologue à l’Institut Pierre-Simon Laplace, réalisé par Sorbonne Université.
Le projet Climaviation a pour ambition de mieux comprendre et quantifier les impacts climatiques de l’aviation. Il est dirigé par Nicolas Bellouin, climatologue au Royaume-Uni et titulaire de la chaire Aviation et climat à l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL). Ce contributeur au sixième rapport du GIEC nous explique ici les objectifs de ce projet ambitieux qui réunit des scientifiques de l’IPSL et de l’Office National d’Etudes et de Recherches Aérospatiales (ONERA).
Dans quel contexte est né le projet Climaviation ?
Nicolas Bellouin : Face au réchauffement climatique et à la nécessité de diminuer les émissions de dioxyde de carbone (CO2), l’aviation s’est engagée dans une stratégie de décarbonation à l’échelle mondiale. La tâche est particulièrement difficile pour ce secteur économique où le CO2 reste très présent et où chaque innovation envisagée sur les avions doit être testée et approuvée avant d’être mise en place.
Dans ce contexte, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) a financé sur cinq ans le projet Climaviation afin d’explorer différentes solutions visant à réduire les impacts climatiques de l’aviation.
Quel est l’objectif de ce projet ?
N. B. : Chacun sait que l’aviation émet du CO2 et qu’il faut réduire ces émissions. Mais le CO2 n’est pas le seul coupable. Les moteurs d’avion émettent d’autres composés : oxydes d’azote, vapeur d’eau, particules. Si les conditions sont réunies, la vapeur d’eau et les particules forment des trainées de condensation derrière les appareils. Certaines de ces trainées persistent et continuent de s’étendre en formant de grands champs de nuages de glace qui perturbent le bilan radiatif terrestre. C’est l’un des effets de l’aviation qualifiés d’effets « non-CO2 ».
Selon les modélisations climatiques récentes, l’impact de ces effets pourrait être supérieur à celui du CO2. Mais il reste incertain en raison de la complexité des mécanismes à modéliser et des échelles à prendre en compte dans les simulations. De nombreuses questions se posent concernant la taille et les propriétés de la couverture nuageuse induite par les trainées, leur durée de vie dans l’atmosphère, la formation et la composition des cristaux de glace, l’impact d’un changement de carburant sur la chimie de l’atmosphère, etc.
L’objectif du projet Climaviation est donc de comprendre et quantifier ces effets pour mieux les prendre en compte dans les stratégies de réduction de l’impact climatique.
Quelles solutions explorez-vous pour réduire l’impact de l’aviation sur le climat ?
N. B. : L’industrie aéronautique intensifie ses efforts pour améliorer le rendement des moteurs existants ou recourir à des carburants alternatifs à faible empreinte carbone, voire à de nouveaux vecteurs énergétiques décarbonés comme l’hydrogène.
Nous nous intéressons aussi à des stratégies alternatives qui reposent en grande partie sur la flotte existante : changer l’altitude de vol, utiliser les courants ascendants, adapter l’heure des vols, etc. Si ces stratégies ne nécessitent pas forcément de changement technologique, il faut néanmoins vérifier qu’elles sont efficaces et en mesurer les impacts à court et long termes.
La DGAC a donc besoin de notre conseil scientifique pour déterminer quelles sont, parmi l’ensemble de ces solutions, celles qui, non seulement réduisent les émissions de CO2, mais aussi limitent les effets non-CO2.
Il s’agit d’un projet de recherche pluridisciplinaire mêlant des forces de Sorbonne Université et de l’ONERA. Comment s’articule cette collaboration ?
N. B. : Ce projet rassemble une trentaine de scientifiques. Parmi eux : des physiciens de l’atmosphère, des physiciens des nuages, des chimistes, des observateurs, des spécialistes de la détection automatique des formes, etc.
Les scientifiques de l’ONERA savent modéliser l’impact que va générer, au niveau de l’atmosphère, le changement d’un moteur ou d’un carburant sur une échelle spatio-temporelle de quelques secondes et de quelques mètres derrière l’avion. À l’IPSL, nous modélisons ce qui se passe à des échelles bien plus grandes : au niveau de la planète et sur plusieurs heures, années voire siècles. À travers notre collaboration, nous essayons de combler l’écart qui existe entre ces deux ordres de grandeur.
Notre ambition est de connecter les modèles de l’ONERA aux modèles climatiques développés par l’IPSL afin de construire des outils scientifiques pérennes utilisables pour estimer l’impact climatique de n’importe quelle nouvelle solution proposée dans l’aviation.
Cet article est republié à partir de Sorbonne Université. Lire l’article original.